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Bruxelles, un Rubyk's Cube institutionnel

21 mai 2025 par
Bruxelles, un Rubyk's Cube institutionnel
Yaniss Mouti
Un peu d'Histoire...

Bruxelles, notre capitale, est une ville façonnée par des compromis politiques. On pourrait, à bien des égards, la considérer comme un microcosme de la Belgique. Son excellence l’ambassadeur Kotthaus d’Allemagne en a d’ailleurs fait l’éloge, affirmant que réussir la prouesse de gouverner un pays aussi complexe, rend la gouvernance de l’Union européenne presque enfantine. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? 

Pour des raisons d’impression, nous nous cantonnerons à retracer l’histoire de Bruxelles de la naissance de la Belgique jusqu’à aujourd’hui d'une façon très superficielle.

Bruxelles fut le théâtre de deux révolutions en l’espace d’un siècle. Attardons-nous sur la révolution « belge » de 1830. 

Avant celle-ci Bruxelles était majoritairement néerlandophone. Pourtant, à la suite de cette révolution nationale – un terme réfuté par de nombreux historiens tel que John W. Rooney – c’est une élite francophone qui fit mainmise sur le pouvoir. Celle-ci est celle qui choisit le français comme unique langue officielle.

Un phénomène de francisation progressive de la capitale s’opère, tandis que la population néerlandophone reste impuissante face à cette évolution. Malgré leur majorité démographique, les néerlandophones voient leur langue reléguée au rang de langue paysanne pour les classes populaires. Subséquemment, elle est exclue des sphères politiques, culturelles et éducatives de l’époque. 


A l’inverse, le français est déjà reconnu comme la langue de prestige et est un marqueur de statut social élevé. Pendant de nombreuses années durant, les revendications de la population néerlandophone ne furent pas prises en compte créant un sentiment de frustration et de colère en leur sein.

Durant la première partie du XIXe siècle, un mouvement flamand émerge. Il s’élève au niveau national et, pas à pas, se fraie son chemin sur la scène politique, gagnant toujours plus en influence, pour finalement s’affirmer et enchaîner des victoires au profit de la Flandre. Ce mouvement permit au néerlandais de s’élever comme langue officielle – au travers de la loi d’égalité – à la fin du XIXe siècle. Il persévéra durant tout le XXe siècle, traversant des crises et des victoires. 


En 1921 furent créées les premières frontières linguistiques. Le mouvement flamand réussit la prouesse de faire de Bruxelles une zone bilingue. Ce à quoi s’ensuivit les communautés, en 1970, accueillies favorablement par les flamands.

Le véritable nœud du problème réside au niveau régional. Les représentants flamands s’opposaient à la création des régions, estimant qu’un tel découpage profiterait excessivement aux francophones, majoritaires tant en Wallonie qu’à Bruxelles. Une telle configuration aurait conduit à deux régions sur trois dominées par la population francophone, ce que les Flamands redoutaient. Malgré ces réticences, la loi spéciale de réformes institutionnelles de 1980 consacre la naissance des Régions wallonne et flamande. Toutefois, en raison de profondes divergences politiques entre les deux communautés, il faudra attendre la loi spéciale du 2 janvier 1989 pour que la Région de Bruxelles-Capitale voie enfin le jour.


Les Institutions clés de Bruxelles

Tout d’abord, intéressons-nous au Parlement et au Gouvernement de la région Bruxelles-Capitale. Le nom même de cette région témoigne d’une victoire historique pour la communauté flamande. En effet, Bruxelles, étant la capitale de tous les Belges, doit assurer la représentation de l’ensemble de ceux-ci sans distinction. 

Venons-en au cœur du sujet. Le gouvernement régional bruxellois fidèle à la complexité de notre pays, répond aux exigences du mouvement flamand, étant bilingue.  Il est, de fait, composé d’un ministre-président ainsi que de deux ministres francophones et deux ministres néerlandophones tous mandatés pour une durée de cinq ans. 

Ce gouvernement doit impérativement jouir de la confiance du Parlement et est ainsi responsable devant lui. Chaque ministre rend compte individuellement aux députés de son groupe linguistique. Le ministre-président, quant à lui, doit avoir la confiance du Parlement en entier, ainsi que celle de chaque groupe linguistique. Bien entendu, si le gouvernement perd cette confiance, le Parlement peut émettre une motion de méfiance constructive, le renversant tout en désignant le nouveau. 

Nous l’avions évoqué, les Flamands n’aspiraient pas à une région entièrement francophone. Après de multiples compromis de part et d’autre, nous avons abouti à un Parlement composé de 89 députés, avec une représentation fixe destinée à protéger les intérêts des Flamands, donc 17 députés sont obligatoirement néerlandophones. 


Mais comment définit-on ces groupes linguistiques ? 


Le législateur – en particulier le législateur néerlandophone – a voulu parer toute tentative de basculement d’un groupe linguistique à un autre dans le but de servir les intérêts d’un groupe spécifique. Ainsi, toute personne se présentant aux élections régionales bruxelloises doit choisir le groupe linguistique qu’elle souhaite représenter. Il n’existe donc ni de liste, ni de possibilité de candidature bilingue. Qui plus est, une fois ce choix effectué, il devient irrévocable pour les élections futures. Ce point est réglé à l’article 17 de la loi spéciale sur Bruxelles.


Mais ce n’est pas tout, les garanties flamandes vont plus loin : tout candidat voulant se présenter sur les listes bruxelloises néerlandophones doit se soumettre à différentes modalités. Cependant, ces contraintes peuvent être outrepassées si le candidat obtient la signature d’un parlementaire sortant appartenant au groupe linguistique néerlandophone. Par ailleurs, le Parlement dispose du pouvoir d’adopter des ordonnances (article 4, in fine, de la loi spéciale sur Bruxelles), lesquelles seront par la suite sanctionnées par le gouvernement. 


En quoi les ordonnances se distinguent-elles des décrets régionaux ? 


Les ordonnances n’ont d’effet, bien entendu, que sur le territoire de la région Bruxelles-Capitale et possèdent force de loi. La Cour constitutionnelle est compétente pour contrôler leur conformité à la Constitution mais aussi - ce qui change par rapport aux décrets régionaux – à l’égard des lois spéciales régissant Bruxelles. Et en cas d’incompatibilité, elle procède à leur annulation. 

Ces ordonnances, bien qu’ayant un caractère législatif - comme le démontre le contrôle par la Cour constitutionnelle – revêtent également une dimension réglementaire. En effet, les juges, dans le cadre d’un litige, peuvent écarter in casu les ordonnances bruxelloises s’ils trouvent que celles-ci contreviennent à la loi spéciale sur Bruxelles. 

Les ordonnances disposent aussi d’une autonomie moindre, étant sous la tutelle de l’autorité fédérale. Laquelle a la prérogative de suspendre ou d’annuler toute ordonnance jugée contraire aux intérêts nationaux. Il est bon de spécifier que les ordonnances bruxelloises doivent respecter un certain bilinguisme stricte, reflétant la spécificité linguistique de la région.


Le Parlement de la région Bruxelles-Capitale n’a pas le monopole des ordonnances. La Commission communautaire commune – généralement appelé COCOM – dispose également de cette prérogative. Elle trouve sa base constitutionnelle à l’article 135 de la constitution  et à l’article 60 de la loi spéciale sur Bruxelles. En fait, la COCOM entretient une relation très étroite avec le Parlement bruxellois, puisque les membres de l’un sont aussi les membres de l’autre. Elle est compétente pour les matières communautaires et répond aux exigences des néerlandophones du fait qu’elle prévoit des modalités de vote spécifiques aux groupes linguistiques. 

Les membres du groupe linguistique francophone forment la COCOF – Commission communautaire française – qui est subordonnée à la communauté française. Tandis que les membres néerlandophones forment la VGC – Vlaams Gemeenschapscommissie – qui est subordonnée à la communauté flamande. L’assemblée réunie de la COCOM, soit son parlement, doit obtenir une majorité dans chaque groupe linguistique pour pouvoir adopter des ordonnances. Si cette modalité n’est pas remplie dans un délai raisonnable, l’approbation d’un tiers des membres de chaque groupe linguistique, combinée à la majorité absolue au sein de l’assemblée réunie, suffit. L’organe exécutif de la COCOM, appelé Collège réuni, se constitue des mêmes personnes que le gouvernement de la région Bruxelles-Capitale, renforçant ainsi le lien institutionnel entre les deux entités. 


Les défis de la Gouvernance Locale, Nationale et Internationale 

De par son statut de capitale, Bruxelles est l’hôte de maintes institutions diverses et variées. Que ce soit au niveau fédéral, par le Parlement fédéral et le gouvernement fédéral. Ou au niveau international avec des institutions telles que la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne, ou encore le siège de l’OTAN. 

La présence de ces institutions engendre une fragmentation institutionnelle propre à notre capitale. Les bourgmestres et leurs conseils communaux exercent des compétences spécifiques à leur commune. L’autorité fédérale conserve des prérogatives importantes, comme la justice ou la police fédérale. 

La COCOM, chargée des questions communautaires communes aux deux groupes linguistiques, voit néanmoins son champ d’action drastiquement limité par les intérêts divergents de la COCOF et de la VGC.  A cela s’ajoute la prise en compte des intérêts nationaux susmentionnés, ainsi que les enjeux globaux que représente la présence des nombreuses entités internationales. 

Vous l’aurez compris, paradoxalement, la politique bruxelloises ne peut se contenter de se concentrer uniquement sur Bruxelles. Elle doit constamment jongler entre les réalités locales, nationales et globales. 

Cette absence de politique unifiée complique la coordination des différents pouvoirs, notamment dans les domaines transversaux tels que l’environnement ou la santé. En outre, le partage des compétences, souvent mal défini, entraîne des chevauchements qui alourdissent les procédures administratives et qui nuisent à l’efficacité. Ajoutez à cela l’historique tension linguistique, et vous obtiendrez Bruxelles. 


Vers une gouvernance Simplifiée et Efficace pour Bruxelles 

Depuis maintenant quelques années, la question d’une septième réforme de l'État s’invite régulièrement au cœur des débats politiques. Cette réforme pourrait profondément transformer Bruxelles puisqu’elle s’attaquerait aux principales problématiques structurelles de Bruxelles. Une rationalisation des institutions, une réforme complète du Parlement et du Gouvernement de la région Bruxelles-Capitale, une fusion de la région avec les 19 communes bruxelloises, les possibilités sont nombreuses et les enjeux considérables.

Nous l’avons vu précédemment, Bruxelles est le théâtre de nombreux enjeux de tous niveaux. Celle-ci ne peut fonctionner comme une région, une ville classique. Une réforme est nécessaire pour une gouvernance plus efficace, une centralisation des services permettant une meilleure coordination entre les pouvoirs et une simplification institutionnelle presque indispensable. 

Cependant, la tâche s’avère ardue et le législateur devra surmonter de nombreux obstacles, notamment les tensions communautaires liées à la population bilingue. Tout en tenant compte de la diversité culturelle et linguistique qu’apporte un tiers de résident d’origine étrangère. 

Ainsi, si la nécessité d’une réforme fait consensus, sa mise en œuvre devra s’appuyer sur une réflexion longue et approfondie pour composer avec les intérêts multiples et divergents inhérents à Bruxelles, notre capitale, notre Rubyk’s cube institutionnel. 

Et cela, sans même aborder la question des institutions judiciaires…


Yaniss MOUTI


Kotthaus, M. Le 23 octobre 2024. “Conférence de S.E.M Martin Kotthaus” à l’Université de Liège. 
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Yaniss Mouti 21 mai 2025
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